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libres pensées
31 janvier 2019

TERMINUS AUTUN (page 1)

11h53. Le TGV va bientôt s'immobiliser. Je repasse dans ma tête les quelques bribes d'éléments confiés à la hâte par mon chef de service, deux heures plus tôt, dans son bureau lugubre situé sous les toits du Quai des Orfèvres.

« C'est une affaire sérieuse mon garçon ». Le commissaire divisionnaire Locatelli, digne représentant de la communauté Corse dans la police nationale, en a vu d'autres en bientôt trente-cinq ans de carrière. Pourtant, son ton est grave :

-           De Noblecourt, ça te parle ?

-          C’est pas un vieillard de plus qui au lieu de profiter de l’automne de sa vie continue à percevoir des émoluments d’élu ?

-          Tout juste mon garçon. Le président du groupe du Parti Populaire Démocrate au Sénat. Une carrière politique plus longue que mon histoire dans la police, plusieurs fois ministre, il a usé plus de Présidents de la République que j'ai eu de femmes.

Belle performance, pensai-je en mon fort intérieur, quand on connaît la réputation de séducteur du chef du département « Personnalités Publiques » de la Police Judiciaire.

–          Bon, en tout cas il est mort dans sa ville d'Autun et tout laisse à penser que quelqu'un de bien intentionné l'a considérablement aidé dans son départ vers l'au-delà... Tu connais le Morvan ? Ton TGV t'attend gare de Lyon. Officiellement, c'est la gendarmerie du coin qui gère l'enquête, tu n'es là que comme « conseiller ». Pour autant, ils ont reçu l'ordre du Ministère de l'Intérieur de faciliter ton enquête et de collaborer pleinement.

La bonne blague ! La dernière fois que police et gendarmerie ont collaboré réellement, c'était dans les années quarante, pour les bienfaits que l'on connaît...

 

La porte du TGV s'ouvre et un vent glacial m'enveloppe immédiatement. Pas chaud l'hiver ici, ça promet. La même voix impersonnelle que dans n'importe quelle autre gare m'annonce la bienvenue. Il est loin le temps où le simple accent, les intonations du chef de gare local étaient une invitation au voyage, au dépaysement. Bonjour l'uniformité, bonjour tristesse. La gare s'appelle Le Creusot -Montceau-les Mines – Montchanin TGV. A mon avis, ils ont cherché un nom encore plus grand mais ça ne tenait pas sur les pancartes de gare standardisées de la SNCF.

Moins compliqué de trouver la sortie de la gare en revanche, elle est plantée au milieu de nulle part, sans doute pour ne pas choisir un tracé de ligne ferroviaire qui aurait privilégié l'une de ces trois fameuses villes. La France a toujours été un pays courageux dans ses décisions politiques...

Sur le parking m'attend un bleu. C'est comme ça qu'on appelle les gendarmes dans la police. Frères ennemis de toujours, dont les rapports conflictuels ont souvent nui à l'efficacité des enquêtes. Les exemples sont légions. Maintenant on cohabite beaucoup moins : les villes de plus de vingt mille habitants sont pour les voitures blanches, et les zones rurales pour les Cruchots, autre surnom pour nos « amis ». Mais là, l'histoire est jugée suffisamment sérieuse pour que la Section des Personnalités Publiques participe pleinement à l'enquête.

Le gamin – il doit avoir à peine vingt cinq ans – est souriant et avenant. Il est trop jeune pour se laisser influencer par les conneries du passé, qu'on appelle souvent à tort « les traditions ».

Il se fige dans un garde-à-vous impeccable. « Gendarme Perrin. Vous êtes le capitaine Le Navel ? Je suis votre chauffeur pendant la durée de l'enquête ».

Oui, je suis vaguement breton, parmi des croisements improbables qui ont fait le bonhomme que je suis et qui voit avec fatalité la cinquantaine approcher.

La poignée de main est franche et virile, j'aime ça. Il m'invite à monter dans un Kangoo passablement délavé, quelque peu boueux. L'intérieur est aussi fatigué que l'aspect extérieur le laissait augurer. Je jette un regard furtif au tableau de bord : le voyant d'huile est allumé, et le compteur affiche ses deux cent trente mille kilomètres. Bienvenue dans le quotidien des forces de sécurité françaises...

–                    Je vous conduis immédiatement sur la scène du crime. Nos experts sont déjà à l'oeuvre. Je croyais qu'ils allaient débarquer avec des moyens comme dans la série US, mais en fait non, rigole-t-il. Ce gamin me plaît.

–                    Qu'est-ce que tu peux me dire sur le meurtre ?

–                    Le sénateur-maire d'Autun, monsieur De Noblecourt, a été retrouvé méchamment mort ce matin à la gare, dans un train désaffecté. C'est plutôt moche paraît-il. Mon commandant de compagnie, qui m'a envoyé vous chercher, je le soupçonne de ne pas avoir supporté, étant donné la peau de renard qu'il a fait en ressortant du wagon. Je crois que c'est une partie des raisons pour lesquelles il a préféré que vous constatiez par vous-même avant de le voir dans son bureau. J'ai cru comprendre aussi qu'il n'était pas très content de toute cette agitation, ni de votre arrivée d'ailleurs. Personnellement, j'ai intégré la gendarmerie il y a trois ans, et je pensais qu'une affectation dans un Peloton de Surveillance et d'Intervention serait bandante, mais qu'est-ce que je me fais chier. A part des accidents de la route, des différends familiaux sur fond d'alcool et quelques paysans au bout du rouleau qui se retranchent dans leur ferme et menacent de se faire sauter le caisson avec leur fusil de chasse, c'est le calme plat ici. Alors autant vous dire que je suis content que ça bouge un peu. Et si je peux vous aider...

Oui vraiment il me plaît ce gamin.

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Commentaires
P
Je ne connaissais pas l'expression "faire la peau de renard". J'aurais appris quelque chose ce matin ! Une élégante manière de le dire je trouve. <br /> <br /> <br /> <br /> Sinon j'aime bien le début.
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K
Une bonne entrée en matière. Dans une région que je reconnais bien là.
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