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libres pensées
1 mars 2019

Terminus Autun (page 5)

Perrin m’attend à côté de son Kangoo préféré, dont la rouille du bas de caisse apporte une note de couleur digne d’un styliste parisien.

-          Vous êtes mieux logé que moi à la caserne dites-donc capitaine !

-          C’est quoi cette histoire de centre d’enfouissement de déchets ?

-          Ouh là ! Un sujet sensible ici. On enquête justement sur un petit groupe d’activistes farouchement opposés à sa création.

-          Tu peux m’en dire plus ?

-          Disons que ça ne faisait pas partie du programme de monsieur le Maire aux dernières élections. Sa majorité était de plus en plus réduite et il s’est lancé un peu à contre cœur dans le développement durable : éoliennes, véhicules municipaux électriques, soutien moins marqué à la fédération de chasse locale… Autant vous dire que lorsqu’il a lancé ce projet lors d’un conseil municipal, c’est un peu parti en cacahuètes ! Personne n’a vraiment compris pourquoi et comment lui était venue cette idée-là. Certains disent qu’il a accumulé suffisamment de casseroles durant sa carrière politique que d’anciens amis soient venus lui rappeler à quel point il leur était redevable. Toujours est-il qu’il a reçu plusieurs fois des menaces de mort. Ça a été jugé suffisamment crédible pour qu’on s’intéresse aux sympathisants d’extrême gauche locaux.

Voilà, à peine deux heures que je suis arrivé et déjà au bas mot une vingtaine de personnes qui auraient pu pour des raisons diverses vouloir en attenter à sa vie. A combien montera le cheptel en fin de journée ? Oui mais de là à orchestrer cette mise en scène sanguinolente…

 

Comme je m’y attendais, le Commandant de compagnie de la gendarmerie d’Autun me fait poireauter depuis vingt bonnes minutes. Méthode classique pour bien montrer qui est le boss quand on n’a aucun autre argument ni pouvoir, outre celui de faire chier… Je l’imagine bien regardant en boucle les chaînes d’infos en guettant la fraction de seconde où on le voit acquiescer de la tête en pinçant la bouche pour étayer les déclarations du Procureur de la République durant son allocution de midi devant la gare. En poste pour deux ans dans un trou, il attend que ça se passe sans faire de vague, espérant un poste plus important ailleurs. Raté mon gars, toute l’attention de ta hiérarchie est désormais concentrée sur toi. De quoi passer des nuits agitées à cogiter sur tout ce qu’il ne faut pas faire pour se mettre dans la merde, et comment briller pour se faire remarquer positivement maintenant que cette sordide affaire a eu lieu.

La porte s’ouvre enfin sur un premier de la classe, mèche de cheveux savamment sculptée sur une coiffure militaire mais pas trop.

-          Capitaine Le Navel ? Bonjour, Commandant Philippe, Commandant la compagnie d’Autun. Entrez, asseyez-vous.

Il paraît que les gens dont le nom de famille est un prénom sont des psychopathes en puissance. A voir, chacune ses névroses. Le bonhomme est fébrile, ça se sent. Son bureau est celui d’un chef militaire. Des diplômes encadrés parfaitement alignés sur le mur derrière le siège du maître des lieux, avec un focus sur le certificat de parachutiste, graal de l’officier de gendarmerie, parfaitement inutile dans son métier mais qui montre que le mec en a… ça marche peut être en province ces conneries là. Il y a aussi et évidemment la photo de mariage en grande tenue, ainsi que deux charmants bambins coiffés et habillés à l’identique, avec la même mèche que papa. Les stéréotypes ont la vie dure parfois.

-          C’est étonnant qu’à votre âge vous soyez encore capitaine non ?

-          C’est parce que je suis plus jeune que j’en ai l’air très certainement, ou bien que la priorité est accordée aux Corses dans la Police, un peu comme pour les nobles dans votre Institution je crois.

Ça y est, c’est parti pour une joute verbale. Oh bien sûr je devrais faire mon mielleux pour flatter le gars et obtenir de pouvoir travailler tranquille, à défaut d’une franche collaboration. Mais c’est plus fort que moi, je ne supporte pas qu’on m’agresse verbalement.

-          Vous avez de la répartie pour un flic, et même un sourire sarcastique que ne prend d'habitude par la peine d'avoir un parisien.

-          Mon service est à Paris, mais je travaille sur tout le territoire, ça permet d’être accepté à peu près partout. J’espère qu’on pourra travailler en bonne intelligence, nous avons des intérêts communs.

En moi-même je me dis que le plus tôt je pourrai quitter ce trou à rats sera le mieux, et je visualise une nouvelle médaille remise en grandes pompes dans la cour d’honneur pour ce chef d’exception qui par sa rigueur formelle et son professionnalisme, aura résolu de main de maître et totalement seul une affaire sensible, mettant ainsi en exergue la Maréchaussée.

-          C’est une catastrophe pour la ville ce qui s’est passé. Vous connaissez bien évidemment la carrière de Monsieur de Noblecourt, et toutes les implications que peuvent avoir sa mort sur la population locale. Ma hiérarchie me harcèle autant que les journalistes depuis ce matin. Autant vous dire qu’on n’est pas habitués à ça ici. J’ai déjà une carrière derrière moi, mais ce qui arrive là…

-          Vous avez besoin de moi donc…

-          Oui… La pression est déjà forte, et ce n’est que le début sans doute.

-          Je vous le confirme. Tous vos faits et gestes vont être scrutés par les chaînes d’infos qui ont dépêché un petit jeunot ici avec pour seul objectif le scoop. Vos chefs vont vous téléphoner vingt fois par jour pour savoir où ça en est. Le proc va être constamment derrière votre cul pour vérifier que tout est fait dans les règles de l’art. Votre femme va vous questionner et vous reprocher de ne plus vous occuper de vos enfants… Si vous ne vous êtes pas suicidé d’ici la fin de la semaine je vous paie un resto.

-          J’espère que vous êtes aussi bon flic que vous maniez le cynisme, capitaine !

-          Un peu d’humour noir n’a jamais tué personne. Enfin, moins que l’entame du dépeçage d’un notable… Où en est-on des circonstances ?

-          Les premières constatations de "la scientifique" laissent à penser que monsieur le Maire a été tué d’un coup violent porté à la nuque. La mise en scène serait donc post mortem. Pas d’empreinte exploitable à ce stade de l’enquête, des recherches ADN sont en cours. Mais quel malade a bien pu faire ça ? Pourquoi cet acharnement alors qu’il était déjà mort ?

-          Deux hypothèses : soit ça veut dire précisément quelque chose, une vengeance pourquoi pas, soit c’est pour nous aiguiller sur une voie de garage.

Oui, j’aime bien mon humour fait d’allusions par toujours très finaudes.

- Le monde politique est plein de ressources, même si sa meilleure solution demeure le faux suicide presque parfait.

-          J’ai demandé au Major Princet, dont vous avez je crois fait la connaissance, de vous transmettre toutes les informations dont vous avez besoin. J’attends de vous deux une collaboration exemplaire. Ça suppose de votre part que vous ne fassiez pas cavalier seul. Je peux compter sur vous ? Vous viendrez me faire un rapport conjoint avec le Major chaque jour à huit heures, avec les éléments de la veille et vos prévisions pour la journée.

-          Bien évidemment mon Commandant…

C’est à ce moment précis que je peux être exceptionnellement faux cul. Non pas par plaisir perfide, mais parce qu’il faut ménager la chèvre et le choux si on veut être relativement tranquille. Ce major est un gros con qui veut diriger, ce commandant veut faire décoller sa carrière, et je veux faire ce que je sais le mieux faire : chercher, fouiner, déranger, confondre l’adversaire le plus coriace. Mon moteur est là. Quand je n’ai pas un os à ronger, je m’emmerde, et je deviens très chiant. Mon ex-femme pourrait en parler mieux que moi. Quand mon esprit n’est pas occupé, je deviens suspicieux, coléreux, invivable. Le sport pourrait être une alternative, mais je préfère l’activité de mes neurones à celle de mes muscles. Et puis comme ça, pas de mauvaise conscience quand je réalise que je suis en retard d’environ dix-sept mille pompes sur le programme que je pourrais m’être établi.

-          Je vous ai délégué Perrin. Un peu foufou, mais un garçon fiable et particulièrement dévoué, avec des valeurs certaines. Il n’est pas rare qu’il vienne bosser même quand il est de repos. Je suis obligé de lui imposer de prendre des permissions, c’est vous dire. Vous n’aurez aucun problème avec lui. Il est disponible H24. En ce qui concerne le major Princet, il a fait très largement ses preuves au sein de la Gendarmerie. Merci de respecter ses états de service.

-          Je peux avoir accès aux PV des auditions des personnes présentes hier soir, ainsi qu’à celui du chauffeur ?

-          Si vous demandez poliment au major Princet… Il faut que cette affaire avance vite capitaine, je pense que vous en avez conscience.

-          A demain huit heures Commandant…

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Commentaires
B
...👍👏💋
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